Le speedrun : Au delà des limites du temps
Avez-vous déjà essayé de finir un jeu le plus vite possible ? Que ce soit un rubik’s cube ou Elden Ring, si c’est le cas vous avez surement ressenti de la frustration due à la difficulté, mais surtout du plaisir, de l’amusement et de la satisfaction si vous avez réussi votre objectif. Le speedrun est une pratique qui consiste généralement à terminer un jeu vidéo le plus vite possible. Les joueurs utilisent pour cela des optimisations de paramètres et d’actions, mais aussi des bugs et glitchs du moteur du jeu. Mais alors quel est l’intérêt du speedrun ? Pourquoi vouloir finir un jeu qu’on aime profondément le plus vite possible en utilisant des glitchs qui cassent le jeu ? Est-ce vraiment profiter du jeu ? Dans cet article vous allez découvrir l’immense univers du speedrun, une discipline fascinante.
Repousser les limites du jeu
Il y a en réalité toutes sortes d’objectifs dans le speedrun, parfois l’objectif final n’est pas la fin du jeu mais un achievement disponible dans le jeu. Il y a tout de même un point commun à toutes les formes de speedrun: la vitesse. Ainsi les Speedrunners vont utiliser des raccourcis, des glitchs afin de sauter des quêtes importantes dans le jeu, et de nombreuses micro-optimisations.
Ils vont tout faire pour gagner du temps. Les méthodes sont poussées à l’extrême. Les temps à réaliser sont toujours plus serrés. Sur certains jeux les joueurs se battent pour quelques secondes à peine. Un jeu qui normalement se termine en plusieurs heures peut finalement se finir en quelques minutes. La recherche de raccourcis et d’optimisations demande du temps et une connaissance approfondie du jeu. Il faut connaître une route précise, la plus rapide, qui passera sûrement par de nombreux petits objectifs avant de pouvoir atteindre l’objectif final. Cela dit ce n’est pas vrai pour tous les jeux, ce n’est pas le cas de Minecraft dont la génération de monde est aléatoire, la route doit donc être improvisée sur le moment et ce n’est pas le cas non plus de certains jeux où la route n’est qu’une ligne droite.
La recherche de glitchs et de bugs exploitables en jeu demande pas mal de connaissances sur le fonctionnement du jeu, la façon dont il est codé. Ce ne sont pas forcément des speedrunners qui trouvent les glitchs, mais ce sont eux qui les exploitent afin d’améliorer leur chronomètre au maximum. L’apprentissage des glitchs demande du temps et de l’entraînement. Les manipulations sont souvent très précises ce qui rend cette discipline complexe mais extrêmement intéressante. Bien sûr, il ne faut pas résumer le speedrun à la recherche de glitchs. Les glitchs ne sont pas exclusifs au speedrun et sont utilisés par toutes sortes de joueurs sur toutes sortes de jeux. Certains jeux sont faits pour être speedrun, c’est le cas de Dustforce où la vitesse est valorisée ; certains ont leurs propres classements en jeu et d’autres ont des succès à débloquer portant sur la vitesse à finir le jeu.
Par exemple, dans Stray, si le jeu est fini en moins de 2 heures, un succès est débloqué. C’est un jeu où l’on est dans la peau d’un chat dans une ville confinée peuplée de robots, et de bactéries mutantes; on cherche à retourner à la surface à l’aide d’un compagnon drone b-12. Le jeu est un Adventure. C’est -à -dire que l’intérêt du jeu se focalise sur la narration, qui comprend l’exploration, les dialogues, la résolution d’énigmes et les nombreux petits secrets à découvrir. Pour jouer à Stray comme à de nombreux autres jeux du même type, pas besoin d’être bon en action et vitesse d’exécution. Par contre quand on en vient à essayer de terminer le jeu le plus vite possible, le jeu prend un tout autre sens. C’est toujours le même jeu mais cette fois on ne s’intéresse pas aux dialogues, on connaît déjà les énigmes par cœur, le jeu n’est plus qu’un jeu d’exécution où il faut réaliser une suite d’actions apprises par cœur le plus vite possible et sans erreur. Dans le cas de Stray les développeurs du jeu (BlueTwelve Studio) acceptent le speedrun, cela augmente la durée de vie d’un jeu, le fait connaître, etc. Au contraire, certaines sociétés vont avoir une mauvaise opinion du speedrun, elles vont essayer de corriger les glitchs utilisables en jeu, et ne mettront jamais en valeur une pratique comme le speedrun. C’est le cas de Nintendo par exemple. Bien entendu les entreprises n’ont pas cette mauvaise opinion du speedrun sans raison. Les développeurs travaillent sur un jeu censé occuper pendant de nombreuses heures, un jeu qui doit être beau et bien construit. L’utilisation de glitchs dans le jeu et le fait qu’il puisse être fini rapidement peut donner une mauvaise image du jeu. On pense souvent qu’un jeu dans lequel il y a des glitchs est un jeu mal codé, qui a mal été conçu mais en réalité si l’on se penche sur le pourquoi du comment certains glitchs fonctionnent, on se rend compte que ces derniers résultent d’un jeu très bien pensé et bien codé. Les développeurs de jeux font tout pour qu’il y ait le moins de glitchs possibles dans leurs jeux, les bugs ou glitchs qui peuvent survenir par hasard et gêner l’expérience d’un joueur lambda sont évidemment corrigés et éliminés. Il reste donc uniquement des glitchs qui ne peuvent être réalisés qu’après une succession très précise d’actions, parfois avec un timing très précis. Ils ne peuvent pas être réalisés involontairement, ils sont tous plus ou moins difficiles et demandent une connaissance et un entraînement plus ou moins important. Ce sont ces glitchs majeurs qui permettent de repousser les limites d’un jeu ! Qui permettent d’aller toujours plus loin.
Dans The Legend of Zelda: Breath of the Wild, la plupart des glitchs en jeu demandent des inputs précis avec un timing bien défini. Le premier speedrun réalisé avant même la sortie du jeu en 2017 était de 3 heures 39 minutes. Au fil des années les joueurs ont amélioré la route jusqu’à arriver à seulement 23 minutes et 42 secondes ce qui est pour l’instant le meilleur temps mondial détenu par Player5. Aujourd’hui si l’on veut dépasser ce temps il faudrait une exécution presque parfaite. Chaque segment de la course compte, et chaque milliseconde gagnée peut amener à battre son propre record…
Pourquoi le speedrun fascine tant ?
Le speedrun est une discipline qui fascine autant ceux qui font du speedrun que ceux qui en regardent. Une des premières raisons: le speedrun suscite l’admiration. Il suffit de se plonger un minimum dans l’univers du speedrun pour voir que faire du speedrun, notamment à haut niveau demande de la persévérance, de la régularité, un bon mental et une discipline sans faille ou presque. Le speedrun, c’est rencontrer des obstacles, se retrouver face à un mur. Faire une erreur, recommencer; et parfois refaire la même erreur encore et encore… s’entraîner sans cesse.
Le speedrun c’est aussi avoir de la patience, savoir garder son calme face à l’échec ou à l’absence de résultat, persévérer, jusqu’à la réussite qui prend parfois son temps à arriver. Une fois que cette étape est dépassée, le speedrun apporte ce sentiment de fierté, de savoir faire et de connaissance et c’est un sentiment tellement justifié après le nombre d’heures de jeu qui s’est accumulé. Il y a ce sentiment après avoir appris le speedrun d’un jeu; que le jeu est à nous, on peut s’approprier le jeu. La connaissance du jeu est telle que les speedrunners y trouvent une liberté immense. On va plus loin que ce qu’avaient prévu les développeurs et le jeu devient nôtre. Le jeu n’est plus que ce que le joueur en fait.
Le speedrun est captivant. Cela va plus loin qu’une simple compétition. C’est une magnification du jeu. Le temps devient si précieux, tout repose sur la vitesse. Le speedrun est captivant car il est beau à regarder, beau à exécuter. Quand tu comprends ce qu’il y a en face de toi, la beauté et l’ingéniosité des techniques est plus qu’appréciable. Le but final a beau être d’aller le plus vite possible, le speedrun est sans fin et sans limites. Plus un joueur devient expérimenté sur un speedrun, plus il a du mal à battre son record (son pb ou personal best) donc plus la difficulté augmente. De cette façon, un speedrun ne devient que rarement ennuyant, et la course contre le chrono est sans fin. Nous n’arriverons jamais à la run parfaite, il y aura toujours des choses à améliorer et des secondes à gagner. Si tes objectifs sont atteints alors il y a toujours de nouveaux challenges ailleurs, de nouveaux temps à battre, de nouveaux speedruns à apprendre, etc. Cela permet en réalité de repousser la durée de vie d’un jeu, de jouer à son jeu favori pendant des heures et des heures sans finalement pouvoir s’en lasser.
La pratique du speedrun apporte au joueur une satisfaction et un plaisir particulier. En speedrun on ne peut que s’améliorer, que battre sa meilleure performance. Car dans le classement sur speedrun.com seule ta meilleure performance est affichée tu ne peux donc pas être rétrogradé. A l’inverse de certains jeux comme League of Legend où perdre des parties peut te faire perdre ton grade. C’est aussi découvrir une nouvelle facette du jeu avec une vitesse jouissive qui procure de l’adrénaline. De plus, à l’exception d’une race (en course contre quelqu’un d’autre), le speedrun se joue seul, le seul adversaire est le chronomètre et on sait très bien comment il va agir, tout est concret. Chaque seconde gagnée l’est réellement. Le plaisir ne dépend pas du bon vouloir des autres. Chaque gain, chaque réussite apporte cette dopamine, ce sentiment jouissif qu’aiment les speedrunners. Quant un jeu vous donne du fil à retordre, que l’objectif à atteindre passe d’abord par des obstacles, des erreurs et des défaites.. Quand la motivation laisse place à la perte de patience, la frustration, et le désespoir.. Quand vous avez recommencé des centaines et centaines de fois, que vous avez investi de votre temps, vos efforts dans un speedrun alors la réussite est mille fois plus gratifiante que si vous aviez réussi du premier coup.
Minecraft est l’un des jeux les plus connus et les plus joués, et par conséquent un des jeux les plus speedrun par la communauté. Pourtant c’est aussi l’un des plus compliqués. C’est un monde infini où tout est généré aléatoirement. L’objectif final est d’aller battre l’Ender Dragon. Pour cela il y a de nombreuses ressources à récupérer qui vont permettre d’accéder au Nether puis à L’End où est situé le Dragon. Ces ressources apparaissent dans des endroits aléatoires, inconnus et différents à chaque fois qu’une nouvelle partie recommence. Chaque fois qu’une partie est lancée le jeu n’est plus vraiment le même. Le speedrun de Minecraft est donc particulièrement impressionnant, il faut de la patience et de la chance. Mais aussi beaucoup d’entraînement et de capacités car il faut savoir improviser constamment. Les speedrunners de Minecraft domptent l’inconnu et apprivoisent l’aléatoire. Les joueurs doivent constamment garder leur calme et faire des choix tout au long de la run sans réellement savoir si ce sont les bons choix ou non. La façon dont les joueurs réussissent à jouer avec l’aléatoire rend le speedrun de ce jeu particulièrement fascinant.
Le speedrun sur les traces de l’E-sport ?
Actuellement il n’y a pas vraiment de scène professionnelle du speedrun, il y a des tournois, des émissions, des rencontres, des marathons ayant parfois des cash price mais pas de quoi vivre du speedrun. Il y a plusieurs raisons à cela. La première est le nombre de joueurs, il y a beaucoup plus de joueurs sur des jeux comme Valorant ou League of Legend que de speedrunners sur Minecraft ou Super Mario 64. Ensuite sur la scène professionnelle les développeurs du jeu aident grandement, ils apportent des sponsors aux joueurs. Ils ont un intérêt à cela puisque ça permet de faire connaître le jeu. Tandis que le speedrun est rarement soutenu par les entreprises qui ont développé le jeu, celles-ci ne trouvent pas d’intérêt dans le speedrun pour les raisons qu’on a vues plus haut. Une des raisons majeures qui fait qu’il n’y a pas de scène professionnelle de speedrun est l’accessibilité. Dans un jeu compétitif comme Rocket League ou Street Fighter on comprend facilement ce qui ce passe, le score est affiché et les règles sont simples. Alors qu’en speedrun on met en compétition deux joueurs sur un jeu souvent solo, qui requiert de montrer deux écrans séparés. Pour savoir quel joueur devance l’autre il faut connaître la route, le speedrun du jeu au préalable, car si vous regardez deux joueurs speedrun un même jeu que vous ne connaissez pas, il sera impossible de savoir lequel est en train de gagner. Ce qui explique d’ailleurs la présence de commentateurs lors des marathons de speedrun, afin d’expliquer aux spectateurs ce qui se passe. En effet, regarder un speedrun sans comprendre ce qui se passe, sans comprendre l’enjeu de certaines actions, sans comprendre la difficulté de la run n’est pas très intéressant. Ce qui est captivant pour le spectateur c’est de s’investir dans la course, d’avoir des émotions car il comprend la compétition, la difficulté, quels moments sont déterminants et qui est en train de gagner. Mais pour cela il faut une connaissance de base du jeu qui est speedrun sur le moment. Pour autant la création d’une scène professionnelle de speedrun n’est pas impossible et on peut espérer que le speedrun fasse son entrée dans l’E-sport.
Une communauté extraordinaire :
Il y a maintenant une autre question qui se pose, souhaite-t-on voir le speedrun sur la scène professionnelle ? Et la réponse à cette question dépend de chaque individu, mais il doit être en accord avec l’état d’esprit de la communauté. La communauté de speedrun est réunie sur de nombreux jeux avec une même passion. L’état d’esprit de la communauté est moins celui de la compétition avec les autres joueurs que celui du dépassement de soi. De même l’entraide est un des caractères principaux qu’on trouve dans la communauté. Il y aura toujours quelqu’un pour vous aider à avancer. Les plus gros événements qui réunissent la communauté sont souvent des marathons caritatifs. La communauté se réunit pendant plus ou moins 3 jours afin de faire découvrir de nombreux jeux, de nombreux speedrun et afin de récolter de l’argent pour des associations diverses. Cela traduit l’essence même de la communauté qui est là par plaisir, par passion, afin de partager et rencontrer. La compétition ne devient qu’un élément facultatif là où la priorité est l’amusement, le plaisir et le dépassement de soi.. Pour ma part je me contente pour l’instant d’être spectatrice de cet univers magnifique qu’est le speedrun et je suis souvent agréablement surprise des rencontres que j’ai pu faire dans la communauté, de la convivialité et la bienveillance des joueurs. C’est un monde qui a énormément influencé ma vie, et je souhaite à toute personne qui lit cet article de ne pas hésiter à découvrir plus profondément cet univers si l’envie est présente.