La Vie de Gay Lu

Entrevue avec Marie-Noëlle Agniau

Alors que nous nous rendions, le Président du Gay-Lu Times et moi-même, sur le lieu de ce qui allait être notre entrevue, nous n’avions que pour seule escorte les bourrasques de vent qui s’écrasaient dans notre dos, nous pressant le pas, et une voute céleste assombrie par les nuages, lesquels étaient les derniers gardiens d’une pluie prête à s’abattre sur nos têtes. Mais ce n’était rien comparé à l’accueil chaleureux et rayonnant qui allait nous être offert. Franchissant la porte d’un café, empreint d’une atmosphère réconfortante pour quiconque doit affronter les caprices du temps, nous avancions d’un pas décidé vers la poétesse Marie-Noëlle Agniau, la disciple du lyrisme, la préceptrice de la sagesse. Les présentations faites, nous pouvions débuter une conversation qui allait se révéler des plus agréables.
Il est donc une question que nous ne pouvions pas éluder, à savoir depuis quand elle exerçait cette profession de poète. Interrogation peut-être un tant soit peu maladroite, qui plus est, lorsque Marie-Noëlle Agniau précisa que l’on « peut certes parler de profession, mais surtout de vocation ». Un terme, qui bien entendu n’est pas sous-estimé, et se veut porteur de toute une signification pour elle, notamment à commencer par le souvenir de la date exacte à laquelle Mari-Noëlle Agniau débuta d’écrire, et ce, le 6 mars 1997. A cette vocation, en plus de pouvoir employer la notion de passion (cela faisant déjà 25 ans qu’elle occupe une place dans le cercle des poètes), nous nous enquérissions de savoir « quel a été l’élément déclencheur de cette [même] passion », de savoir ainsi pourquoi elle « voulait devenir poète ». Entre profession, passion et vocation, « le plus approprié est bien la vocation », nous indique-t-elle. Ce à quoi, elle ne manqua pas de souligner que « la vocation est étymologiquement le fait d’être appelé à ou par quelque chose », élément important, plus particulièrement lorsqu’elle poursuit en nous informant que « [elle a] toujours cherché, étant plus jeune, à [s]’exercer à une expression artistique : [elle est] donc passée par la danse, et le dessin ». Justement, cette expression artistique « était venue en même temps qu’une blessure au sens que j’ai perdu un frère, et je pense qu’il y avait des non-dits, des silences par rapport à cette perte d’un frère qui est né et qui est mort quasiment en même temps, que je n’ai pas connu mais que j’ai attendu en tant que sœur aînée », nous révèle-t-elle. Une confidence qui ne nous laissa pas indifférents, qui nous rendit ému cela va sans dire, mais qui fit germer en nous ce sentiment de compassion à l’égard d’une souffrance qui malheureusement nous échappe, nous faisant se sentir impuissant, d’une certaine manière. Nous comprenions donc cet appel de la poésie, surtout quand elle ajouta que « l’écriture recèle de cette absence, et que le fait d’écrire est de mettre en mot ce qui, précisément, est difficile de formuler ». A mesure que ses paroles nous emmenaient sur les traces de son passé, ses pas, suivant la route de la poésie, guidés par conséquent par cette même vocation, l’ont conduit progressivement à une révélation « comprenant que la danse ce n’était pas pour moi, et qu’il en était de même pour le dessin après avoir beaucoup dessiné », comme elle nous l’apprit. Et ce qui peut parfois apparaître comme un événement tout à fait anodin, frôlant l’anecdote, se trouve être en réalité une étape clé dans nos vies, ce qui fut le cas pour notre poétesse, nous racontant que « un jour, je vais dans une bibliothèque, c’était à Poitiers, j’allais préparer un cours de philosophie, mais celle-ci était fermée pour cause d’inventaire. En fait, je suis rentrée chez moi et je me suis mise à ce que j’appelle une table d’écriture, et ce qui est venue comme forme, c’est la poésie. Depuis ce jour-là, je n’ai cessé d’écrire, et je peux affirmer que je suis entrée en écriture avec cette idée que « c’est ce que je voulais faire » : écrire. D’ailleurs, l’écriture m’a toujours intéressée. ». Alors que nous nous enfoncions encore un peu plus au sein de ses souvenirs, comme nos lèvres qui plongeaient toujours plus dans nos tasses de thé, elle relève ce fait datant de son enfance : « Quand j’étais en sixième, j’habitai dans le Sud de la France, toutes les écoles s’appelaient Marcel Pagnol, et je me suis dit « Je veux faire Marcel Pagnol, je veux écrire » : c’est quelque chose de très archaïque. Puis un jour cela s’impose à vous et j’ai compris que je ne pouvais pas concevoir ma vie sans l’écriture : voilà la raison qui est, si vous voulez, à la fois factuelle et très personnelle, faisant que je suis entrée dans ce domaine ». Une fois avoir eu en connaissance le seuil franchi d’une vie qui se forgeait, notre Président du Gay-Lu Times, Antoine, ne put s’empêcher, cela lui brûlant les lèvres on peut s’en douter, de vouloir savoir si « [elle] vivait de la poésie ». Hélas, ce fut un terrible, puisque triste, retour à la vraie vie qui s’opéra, Marie-Noëlle Agniau s’exprimant sur ce point, tout en revenant sur son autre profession, par ces quelques mots : « Mon métier, qui correspond à une autre vocation, est d’être enseignante en philosophie, au lycée Renoir, non loin de Gay-Lussac. » Laissant échapper une pointe de rire, comme si « les grands esprits [étaient voués à] se rencontrer » (ainsi cet adage résumerait-il notre situation), elle reprit : « Cela est mon métier bien que je pourrais faire le choix de me consacrer pleinement à l’écriture. Mais, je pense que ce serait très difficile d’en vivre. D’une part, parce que du point de vue des maisons d’édition, et du point de vue économique, l’écriture poétique représente, je crois, 0,1% du marché, de même qu’un tout petit lectorat. Néanmoins, je connais des poètes qui s’engagent totalement dans l’écriture et dans cette voie, mais cela reste pour le moins difficile : personnellement, je ne suis pas prête, et je pense que si j’arrêtais d’enseigner, il me manquerait aussi quelque chose. En ce sens, je ne gagne pas ma vie avec l’écriture, même si je peux avoir le droit à d’infimes droits d’auteur pour mes textes publiés, mais ce ne serait pas suffisant pour vivre. » Suite à ces paroles, je ne manquais pas d’ajouter que « certes, vous ne gagnez peut-être pas au niveau pécunier, mais vous gagnez à vivre de votre passion, laquelle rappelons-le, vous a appelée. ». Notre entretien continua et, après avoir questionné Marie-Noëlle Agniau sur un éventuel ouvrage à paraître, il faut savoir qu’elle travaille sur texte portant sur le Limousin. Puis, nous n’avons pu nous empêcher de lui demander quel livre était le plus profond, le plus intime pour elle. Avant de nous répondre, elle n’omit pas de nous rappeler que « l’écriture est toujours en acte, autrement dit, que le plus important est l’écriture de maintenant. Et une fois qu’ils sont publiés, ils existent mais ils sont comme morts : et c’est la lecture du public qui va redonner la vie à quelque chose qui n’est plus. Vous voyez, c’est comme un cinéaste : je ne suis pas sûre qu’il regarde les films qu’il a faits. Ce qui l’intéresse, c’est ce qu’il fait maintenant. Donc, je suis en amitié avec tous mes textes, je n’en regrette aucun : c’est une bonne chose. C’est pourquoi, vous dire lequel est le plus intime est presqu’impossible, sachant qu’ils ont tous une part d’ancienneté. ». Et Antoine dit très justement « qu’ils ont tous la même valeur à vos yeux », après quoi, Marie-Noëlle Agniau acquiesça et vint appuyer son propos : « Je n’en renie aucun. Et celui qui m’intéresse le plus : c’est celui de maintenant. ». Toujours dans ce cadre de lecture, il était une question que je devais poser : quel livre recommanderait une poétesse à un jeune lectorat ? Une question qui la fit sourire (comme si elle s’y attendait déjà), mais à laquelle elle m’offrit une réponse : « Vous savez, la vie poétique en France est très riche : vous avez de nombreuses revues, des microéditions (à savoir des petites maisons d’édition, avec des tirages limités par conséquent) créant un cadre confidentiel mais aussi une communauté de lecteurs, que l’on peut également appeler « une communauté de solidaires ». Et justement, l’un de mes éditeurs belges a édité Mortels Habitants de la Terre, en 2016, dont je lirai quelques extraits jeudi 24 mars. Plus précisément, il parle de notre rapport à la disparition de l’écriture et aux nouvelles technologies, mais également comment les écrans bleus modifient-ils totalement notre rapport au réel, au temps, à l’espace, au corps, au désir, tout cela dans un poème en prose. Je trouvais donc qu’il était intéressant de savoir ce qu’est une écriture poétique aujourd’hui ; faire comprendre que la poésie est contemporaine, nous permettant de lire des choses sur la réalité. ». Elle enchaîna ensuite avec d’autres lectures dont les conviés auront plaisir à se délecter, à l’instar par exemple « d’un texte que j’ai écrit en 2008 sur ce qui s’est passé en Ossétie, où le gouvernement russe a agi comme il agit en Ukraine aujourd’hui : la poésie sert donc à montrer qu’elle est actuelle, et la lire a pour dessein de revivifier une parole, ce qui pour moi n’est plus. ».

Ces bons conseils de lecture pris en considération, il nous fallait revenir sur un détail de la carrière de Marie-Noëlle Agniau, pour lequel d’ailleurs, nous n’avons pas procrastiner, se traduisant par cette question : « Vous avez décidé de suivre l’aventure de la CPGE LETTRES à Gay-Lussac, toutefois à la fin de votre première année, vous vous êtes orientée vers l’Université de Poitiers dans le département de philosophie. En conséquence, n’ayant pas achevé le cursus des deux années, comment expliquer ce choix ? ». Notre poétesse nous fournit évidemment la raison de ce « changement de cap » en nous expliquant que « dans mon parcours d’élève, j’ai vraiment appris ce que c’était que la philosophie en première, et j’ai là aussi appris que c’était cela qui m’intéressait pour formuler mon rapport au monde : ces concepts attiraient ma curiosité. Arrivée en terminale A1 (qui n’existe plus aujourd’hui, mais qui regroupait philosophie et mathématiques), j’avais un professeur de philosophie que j’adorais, M. Bois. Trois mois avant la sortie, il vient me voir et me recommande de postuler pour la CPGE. Après m’avoir expliqué le déroulement des cours et de l’année, j’accepte de suivre son conseil, et je suis prise en hypokhâgne. Ensuite, je comprends au fur et à mesure de l’année que, pour moi, le plus important est de faire de la philosophie. Or, en hypokhâgne, on fait autre chose, qui m’intéressait tout de même, mais pas suffisamment pour poursuivre, en dépit des résultats que j’avais eu pour intégrer la khâgne. Mon idée était vraiment « Je veux me consacrer à la philosophie » : d’où cette inscription à Poitiers, pour suivre le cursus dans le but d’être professeur de philosophie. Je me suis dit après, de manière rétrospective, que la CPGE, avec son engagement dans différentes disciplines, ne me convenait pas tellement. Toujours est-il que j’étais très heureuse de prendre part à cette année de CPGE, ayant notamment M. Bois en philosophie, mais encore plus une fois arrivée à l’Université de Poitiers, où j’ai eu de grands maîtres. ». Un autre élément retint aussi notre attention concernant ses deux vocations. Notre curiosité s’est donc manifestée : « Comment conciliez-vous ces deux professions ?», lui avons-nous demandé ; et Marie-Noëlle Agniau nous répondant que « le point commun entre les deux, c’est le travail d’élaboration : élaborer un cours passe par l’écriture, cela requiert du temps, de la concentration, cela exige aussi de lire ; l’écriture poétique demande de l’élaboration, du temps, de la concentration, et évidemment si j’avais un conseil à donner aux jeunes poétes et poétesses en herbe, le premier que je leur prodiguerais serait « Lis des livres ». Cela est donc commun : de ce côté-là, aucune rupture n’est à noter. Ensuite, si vous voulez, la colonne vertébrale, c’est avant tout l’écriture poétique, au sens que, pour ma part, la réalité est comme un musicien : en d’autres termes, la réalité se traduit immédiatement avec des images poétiques. Ainsi, la poésie est omniprésente, au même titre que l’écriture. C’est pour cette raison que j’ai des petits carnets, me permettant d’écrire beaucoup, des idées m’arrivent, des images, des projets, et bien entendu, Paul Valérie dit que « Le premier vers est donner par les dieux » : tout est inspirant comme pour un musicien, un peintre, pour toutes les formes d’art. Après ceci, un très long travail s’impose à nous, raison pour laquelle mon temps libre est dédié à ce travail d’élaboration poétique. ». Marie-Noëlle Agniau, en parallèle à cette explication, conclut en résumant ce qui, au fond, est l’essence même de son métier : « Pour moi, ce qui est important, c’est bien de lire et de partager mes textes, et par là aussi, cette expérience et cette vocation avec d’autres, et si possible, avec des plus jeunes. J’ai donc à cœur de faire comprendre que la poésie n’est pas quelque chose d’inaccessible mais bien une pratique concrète, vivante. ».

C’est donc à la fin de cette entrevue remplie d’émotion, de joie, de rire pour tout dire, de souvenir, peut-être même agrémentée d’une pointe de nostalgie (quoiqu’il ne faille rien regretter, ainsi que le rappela Marie-Noëlle Agniau), et d’une ambiance conviviale, que nous repartions plus assurés que jamais, préparés pour l’arrivée au sein de notre lycée d’une poétesse qui a encore beaucoup à nous apprendre.